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"Car Je est un autre "...
10 mai 2009

L'appel de l'océan

DSC00090   De là où je suis , je ne vois rien.                                                           

   Je ne vois rien. Rien de concret. Et pourtant, mes yeux sont emplis de tant de ressacs.

   Plus qu'une sensation, l'océan m'est une permanente réalité.

                                                                                                                                                                                    

   Depuis l'enfance. Depuis qu'a l'aube de ma dixième année, j'ai rencontré le Finistère, j'ai su que j'y reviendrai.

   Et j'y reviens sans cesse.

   Chaque été, comme un rite immuable, nécessaire à mon équilibre, je prends le chemin du pays Bigouden. C'est tout d'abord, l'attente. Une attente interminable. Celle de onze mois; durant laquelle je ressens mon âme comme séparée de mon corps. Mes actes au quotidien sont parisiens, alors que mes pensées se tournent vers l'océan.

   Un appel. L'appel insistant, incessant de cette immensité mugissante. De cette masse mouvante, qui tantôt caresse et souvent gifle le front du rivage.

   Irrémédiablement, au milieu de l'été, quand juillet s'éteint lentement, je me prépare à quitter Paris. Les jours qui précèdent mon départ sont d'une langueur infinie. Je décompte le temps. Celui qui me sépare des retrouvailles d'avec l'océan. Et puis vient, au jour dit, l'heure de l'envol.

   J'attends impatiemment que s'écoule le jour. Que la lumière s'estompe imperturbablement et que le soleil se change en lune. A l'instant où la pénombre prend possession des campagnes et apaise les villes, je charge mon bagage et je m'apprête pour le voyage.

   Je conduis de nuit. Toujours. J'engloutis les kilomètres entre le crépuscule et l'aurore. Dans l'obscurité à peine lacérée par les feux de ma voiture, je roule sans précipitation. Je sais les distances et le temps qu'il faut pour les parcourir. Chartres, Le Mans, Rennes... les villes traversées sont autant de phares qui attirent et guident les battements de mon coeur.

   Des haltes parfois, rien que des respirations silencieuses, à l'heure où tout s'enfonce dans le sommeil. J'aime cette parenthèse entre deux univers, quand déjà parti, je suis loin d'être arrivé. C'est une sensation unique, que celle d'être entre deux points; perdu entre un avant et un après. Aller ailleurs. Quitter des bras aimants, pour d'autres accueillants, et dans l'intervalle n'être qu'une pensée pour ceux dont on se sépare et ceux qui vous attentent.

   Voyager, c'est être impalpable. Oui, je savoure cette nuit où je ne suis qu'insaisissable.

   Passé Rennes, la nuit devient plus dense. Les autres voyageurs se font plus rares. La Bretagne est plus présente. Parfois il pleut. Doucement au début, subrepticement, puis avec plus de violence de minutes en minutes. Une bruine cinglante, qui ruisselle sur le pare-brise. Ou bien alors, les ténèbres se font sereines. Par la vitre entrouverte, une odeur de fraîcheur où se mêlent mille senteurs d'herbes folles, vient parfumer mon visage en éveil.

   Le lancinant ronronnement du moteur est ma principale compagnie. Avec de temps à autre, comme un contre-chant à cette basse continue, le claquement temporaire des essuies glaces et le battement régulier d'un clignotant.

   Au petit matin, les yeux rougis par une conduite attentive, après deux cent kilomètres d'une voie rapide monotone; j'arrive à Kemper.

   De ronds-points en ronds-points, de courbes en courbes entrecoupées de lignes droites, comme une valse voluptueuse; je contourne la capitale de la Cornouaille.

   Et puis direction Pont-l'abbé, avant d'emprunter la route de Landudec.

   Landudec, berceau de mes vacances d'enfant puis d'adolescent : je suis en terre intime. J'ai appris à me connaître, ici, au grès des étés. Là, j'ai découvert une partie de moi même.

   Il et matin et j'arrive à Plozevet. Les rue embaument le pain chaud encore, qui vient tout juste de quitter le four des boulangers. Ma voiture se faufile, face à la place centrale du bourg, entre deux maisons gardiennes d'une petite route, qui de bifurcations en bifurcations me mène à Penhors.

   Penhors. Un petit port où quelques coques de noix, solidement arrimées les une aux autres, se laissent ballotter par les eaux. A ma droite, la langue de terre qui prolonge la baie d'Audierne jusqu'au Raz de Sein : Penn ar Bed! A ma gauche, un arc de sable qui de ricochets en ricochets, Plovan, Treguennec, Tronoën..., rejoint l'éminence venteuse de la pointe de la Torche.

   C'est à Penhors, à la fraîcheur du petit matin de mon arrivée en pays Bigouden, que je viens à l'océan.

   Il est ma première pensée. Comme on vient à un amant pour se donner à lui, j'avance sur le rivage face aux ressacs. Les pas qui me séparent de lui sont à compter, selon la teneur et l'heure de la marée. Qu'il soit marée haute et mon chemin jusqu'à lui est bref; qu'il soit marée basse et le temps parcouru jusqu'à lui est une éternité. Qu'importe la distance : l'instant m'est solennel et l'émotion vive.

   Je m'arrête à la lisière des vagues. Là où le grondement se fait appel à mes oreilles. Et j'attends. Je me soumets à la volonté de l'océan. Je m'accroupis, une main reposant sur le sable humide. J'attends qu'une lame plus vigoureuse vienne caresser la paume de ma main. Je sais à cet instant, qu'il m'a reconnu et qu'il s'est décidé à répondre à mon salut.

   En cette seconde je suis le bienvenue.

   Je parle à l'océan. Je lui dis que je suis content d'être revenu. Que nous nous reverrons bien des fois avant que je ne reparte. Qu'il m'a cruellement manqué. Je lui livre quelques secrets sur l'année écoulée. Il sait si je vais bien; je comprends à son chant s'il est satisfait des Hommes.

   Il apaise toutes mes inquiétudes, toutes mes souffrances; il pétri mon âme et fascine mes sens. Être là, face à lui, même pour un court instant, c'est trouver une réponse à mes tourments.

   Sa présence est essentielle à mon existence. Comme pour un marin, sans nuls doutes, sa présence est une question de vie ou de mort.

                                                                                                                                                                                 

   Les rapports que j'entretiens avec l'océan sont singuliers, mais pas uniques. La force de l'océan est de tout temps, d'avoir sut parler aux Hommes qui le respectent. C'est sans doute parce qu'il est à l'origine de l'Homme, donc à son image : serein parfois, parfois violent et cruel; limpide en surface souvent, souvent insondable et ténèbreux; immense incontestablement, incontestablement minuscule. C'est sans doute pour tout cela et pour bien d'autres choses encore, qu'il nous invite à la curiosité, à la réflexion, à l'humilité.

                                                                                                                                                                                  

  En cela et pour cela, je ne suis face à lui, comme tant de mes semblables l'ont été, le sont et le seront, qu'un penseur agité, au delà de sa propre destinée, par celle de l'humanité.

                                                                                                                   ERWAN

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Commentaires
T
Lorsqu'on est face à la mer, ou plus simpmement dans une région calme, on se recentre sur soi meme. On n'est pas tenté de s'éparpiller. <br /> <br /> L'ocan attire ou effraie. Certaines personnes n'aiment pas les vagues qui se déchainent, tandis que pour d'aure c'est du sublime. Toute cette démesure tend au respect. Nous, pauvres humains avec nos tragédies quotidiennes et nos comédies, on est bien petits face à la nature ...<br /> <br /> Comme tu l'écris, c'est un moment solennel.
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